Faire émerger l’entreprise 2.0
Olivier Riviere, fondateur d’ATOEM Consulting et d’Olivier Riviere Consulting
Il est souhaitable d’envisager une autre manière d’entreprendre, collective bien sûr, mais surtout collaborative. Pour cela, il faut dépasser les simples intentions véhiculées par la communication pour intégrer de nouvelles méthodes de management. La créativité et la culture française peuvent servir de bases innovantes.
Les notions de finalité, de vision et de valeurs reviennent en force dans les entreprises. Un nombre croissant de dirigeants et de DRH réalisent que ces notions doivent avant tout être appréhendées comme des outils de management créant du sens et de la cohésion, et qu’elles ne doivent en aucun cas être laissées entre les mains d’un département ou d’une agence de communication.
Partager la vision et rendre les valeurs authentiques est difficilement envisageable sans l’utilisation de pratiques collaboratives à tous les échelons de l’entreprise. Alors que les projets conduits de manière collaborative doivent le plus souvent venir de « la base », développer un environnement qui valorise la collaboration incombe aux directions générales et des ressources humaines. A partir de ce postulat, explorons les facteurs individuels et collectifs qui favorisent la collaboration.
Les facteurs individuels nécessaires au développement des pratiques collaboratives
La collaboration réclame aussi une adaptation des comportements collectifs
Une culture de la collaboration ne signifie aucunement que toutes les décisions doivent être basées sur le consensus ou même sur la consultation. Par contre, elle augmente le niveau d’exigence de l’organisation et de ses membres en matière de transparence et de communication. L’équipe dirigeante doit être très vigilante et même irréprochable pour sa propre communication.
Une culture française, a priori, guère favorable
Comparée à celle des pays germaniques, nordiques, ou anglo-saxons, la culture française présente de nombreuses caractéristiques qui ne facilitent pas la collaboration : un système éducatif fondé sur l’individualisme, une culture du statut – acquis avant tout par le diplôme – plutôt que du résultat, une culture de l’opposition entre groupes socio-professionnels, une crainte fondamentale de l’ambiguïté et de l’incertitude et une perception régalienne du rôle et du pouvoir du manager, à tous les niveaux. Le chef est celui qui sait plutôt que celui qui anime.
« Ce sont le style de management
et son influence sur la culture qui déterminent
les capacités d’une organisation en matière
de collaboration. »
Par contre, la culture française présente des avantages : souplesse intellectuelle (tant qu’il n’est pas question de statut ou de rapports entre groupes socio-professionnels), curiosité, et créativité. Ce sont le style de management et son influence sur la culture qui déterminent les capacités d’une organisation en matière de collaboration.
De nombreuses entreprises françaises de toute taille démontrent qu’un management participatif et collaboratif n’est en aucun cas incompatible avec les spécificités culturelles françaises si le top management crée et maintient la culture d’entreprise adéquate.
Quels outils de management ?
L’articulation claire de la finalité, de la vision, et des valeurs de l’entreprise n’est pas compatible avec le choix de la banalité : définir des valeurs telles que l’innovation ou l’orientation client est peu susceptible de traduire la spécificité d’une organisation. Il faut s’efforcer de réellement traduire la personnalité de l’entreprise de façon à avoir une base de référence la plus limpide possible.
Il y a quelques années, j’ai animé un tel séminaire avec le Comité exécutif d’une société finlandaise opérant dans le monde entier et constitué de 8 personnes de 7 nationalités différentes. La discussion a été si animée et a fait surgir des questions tellement importantes que le Président a immédiatement décidé de modifier radicalement le programme des 3 autres journées. Au final, l’équipe dirigeante a renforcé sa cohésion et clarifié les initiatives nécessaires à la poursuite de la croissance.
Le meilleur outil possible pour ensuite établir les objectifs est la Balanced Score Card avec un processus en cascade. Un nombre réduit d’objectifs clés, définis au plus haut niveau, prend en compte différentes dimensions : revenue et profitabilité, évolution de l’offre, relation client, gestion des talents, qualité des opérations. Puis ils « descendent » dans l’organisation. A chaque étape, une grande latitude de décision et d’adaptation est laissée aux équipes.
Il convient également d’opérer une identification claire des comportements et des compétences à valoriser et de les intégrer dans le système RH. L’entreprise devra, en outre, chercher une valorisation authentique de la diversité avec le recrutement et la valorisation de profils variés.
L’utilisation aussi fréquente que possible de travail en mode projet avec des équipes mélangeant les métiers et les générations donne de bons résultats. Cette approche a été mise en place dans une agence anglo-saxonne de relations publiques en créant un programme destiné à améliorer, d’une part, la capacité à gérer des situations difficiles (point fort des consultants les plus senior) et, d’autre part, la connaissance des techniques émergentes de communication (réseaux sociaux, influenceurs, points forts des plus jeunes).
Basé sur l’échange et de nombreux – et difficiles – jeux de rôle, le programme a non seulement développé les compétences mais également amélioré la collaboration entre consultants junior et senior et entre les pays. Tout cela n’est évidemment possible qu’avec une pratique permanente et exigeante du dialogue afin d’établir et maintenir la confiance.
De l’importance secondaire des outils logiciels
N’en déplaise aux avocats de tel ou tel produit, l’impact du choix d’un logiciel plutôt que d’un autre sur la qualité de la collaboration au sein d’une entreprise est minime. L’essentiel vient du changement de comportement individuel et collectif. Sans être tout à fait neutres, les fonctionnalités d’un système ne sont qu’un paramètre de mise en œuvre. D’une manière générale, la plupart des plates-formes sont beaucoup trop complexes pour la majorité des utilisateurs.
« Vouloir promouvoir la collaboration
et provoquer d’emblée l’exclusion d’une partie
du public est un triste paradoxe. »
De plus, l’écueil de la technologie se combine trop souvent avec celui de l’enthousiasme. J’ai malheureusement observé de nombreux cas où quelques jeunes passionnés « montent » un groupe collaboratif, souvent avec l’appui du top management, pour finir désabusés parce que leur groupe, après les succès initiaux, reste confiné à quelques contributeurs passionnés.
Il est très difficile de faire saisir à ces passionnés que la résolution de leur problème ne passe pas par des efforts encore plus massifs pour promouvoir leur initiative mais par un travail de fonds sur les conditions qui créent un climat de collaboration.
Au final, l’Entreprise 2.0 ne devrait pas être définie par l’utilisation des outils web 2.0. Une telle définition est trop réductrice. De plus, elle a un effet répulsif sur les nombreuses personnes qui restent allergiques à tout discours sur la technologie. Vouloir promouvoir la collaboration et provoquer d’emblée l’exclusion d’une partie du public est un triste paradoxe.
La vraie Entreprise 2.0, c’est une organisation dont la finalité est clairement établie, et dont le top management et les équipes utilisent avec réalisme des pratiques humanistes et collaboratives adaptées à la société et à l’environnement économique complexe et ambigu du 21e siècle.
Olivier Riviere, fondateur d’ATOEM Consulting et d’Olivier Riviere Consulting, a effectué toute sa carrière dans des environnements internationaux. Au-delà de son expertise métier liée au marketing par l’influence et au développement de grands comptes, il s’est essentiellement consacré au développement des organisations et des équipes. Installé à Munich depuis 1995, trilingue, il est consultant indépendant depuis 2008 et opère dans toute l’Europe.
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